Après un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, la course à pied a pris une place importante dans la vie de Nathalie Bisson. Tout d’abord pour faire un pied de nez à la maladie qui menaçait sa mobilité, et ensuite pour se dépasser. Mais elle a rapidement été prise dans l’« hyperperformance », une période qui l’emmenait droit dans le mur. « Quand j’ai décroché, c’est parce que mon corps avait fait un shutdown », relate-t-elle.
Elle devait faire un choix : arrêter ou ralentir. Elle a donc décidé d’écouter son corps et de revenir à la base de la course, sans plan d’entraînement strict ni montre. « On passe notre vie à se faire identifier par un chiffre, dit-elle. Mais de savoir qu’on peut se définir sans un chrono ou une distance est un combat dans cette société-ci. » Nathalie, qui a fondé le mouvement (et écrit le livre) Le pace du bonheur, veut que les gens se reconnectent à leurs sensations et profitent à fond du temps qu’ils s’accordent à bouger.
Pourquoi toutes ces données ?
Mesurer notre activité physique est motivant. « La mesure permet de savoir si on a progressé. C’est une forme de récompense et c’est valorisant », explique le psychologue sportif Bruno Ouellette.
Avec un objectif d’accomplir un triathlon ou un demi-marathon, les données peuvent être utiles à l’entraînement.
C’est bon d’avoir des mesures pour éviter d’avoir des blessures sérieuses et avoir des paliers. Mais on ne veut pas être esclave de ça.
Bruno Ouellette, psychologue sportif
Nathalie Bisson, qui a couru en novembre le marathon de New York, a gardé son approche pour relever le défi. Cela lui a permis de s’adapter à son corps, et aussi à sa vie « de fou, de maman et de professionnelle ». Elle souligne toutefois qu’il ne faut pas sous-estimer l’entraînement requis, même sans montre.
Renaud Gauthier – qui court depuis presque 20 ans – se reconnaît dans le parcours de Nathalie Bisson. « J’ai acheté une montre pour m’améliorer et je suis tombé dedans. J’avais le gros défaut de me comparer aux autres, raconte-t-il. Ça pouvait être un entraînement de 10 km, et je me disais “Ah, je n’ai pas été aussi rapide qu’avant-hier.” Je ne gérais pas bien tout ça et... les blessures sont apparues. »
Fini la comparaison
Un autre phénomène qui pèse est le partage de son activité physique. Les réseaux sociaux et applications spécialisées comme Strava permettent à chacun de partager sa nage du matin ou son parcours à vélo du week-end. On peut y trouver une communauté, mais « dans une perspective qu’on se compare beaucoup aux autres », ça « peut être motivant, mais aussi épuisant », croit Bruno Ouellette. Ça peut venir jouer sur « nos perceptions de nous-mêmes et de nos performances ».
Chloé Rochette, fondatrice de Happy Fitness, dénonce les dérives possibles de ce genre de publications. Même que pour certains sportifs, si l’activité n’est pas mesurée et publiée sur un réseau social, « ça ne compte pas vraiment », dit-elle.
Elle croit qu’il faut mettre l’accent ailleurs que sur les données. « Maintenant, j’essaie d’être très consciente de l’impact que mes partages peuvent avoir sur les gens », explique celle qui a fondé son entreprise pour amener une philosophie de jeu et de plaisir à l’activité physique.
Nathalie Bisson a trouvé le ton qui colle à sa mission : elle écrit désormais sur sa page Facebook pour faire part de sa joie après avoir bougé. « Je mise sur l’euphorie lorsque j’écris des publications, comme dire que je suis revenue tellement grisée de la course », souligne-t-elle.
Et elle essaie de choisir les bons mots. Après avoir fini dernière lors d’un marathon, Nathalie a écrit qu’elle était fière d’être celle qui avait couru... le plus longtemps. Idem pour Renaud Gauthier, qui n’indique ni temps ni distance, mais publie plutôt ses réflexions ou de belles photos des paysages qu’il croise.
Sa motivation ailleurs
Il faut prioriser les motivations intrinsèques, recommande Chloé Rochette, plutôt qu’extrinsèques. Un exemple de motivation intrinsèque ? « Bouger pour se faire du bien, passer un bon moment, aller jouer dehors, pour être avec ses amis », énumère-t-elle. Et extrinsèque ? « Pour mettre à tout prix sa photo sur Instagram ou faire un entraînement pour réaliser ses temps. »
Renaud Gauthier a trouvé sa motivation dans le maintien de sa santé « Je ne m’entraîne plus. Je prends du temps pour moi, nuance-t-il. C’est pour décompresser du travail ou pour bien commencer la journée. »
« Il y aura toujours une fin à la performance. On vieillit, on vit des choses et si on se définit juste par ça, qu’est-ce qu’on fait quand ça ne se pointe plus ?, se demande Nathalie Bisson. Tu ne bouges plus, tu n’as plus de motivation. »
Justement, Chloé Rochette appréhende ces effets négatifs. Les chiffres, « ça peut diminuer le plaisir qu’on retire d’une activité physique, puis ça peut traumatiser des gens ou créer une aversion au mouvement ».
Elle invite donc les gens à essayer de bouger sans montre ni application, ce qui peut être « inconfortable » au début, mais bénéfique à long terme. « On est tellement chanceux, adulte, d’avoir des périodes de mouvements. Pour se lâcher lousse, pour socialiser, pour réfléchir, pour se faire du bien », résume Chloé Rochette. Alors, on s’offre une séance d’activité physique sans rien calculer ?
Activité physique | Je calcule, donc je suis ? - La Presse
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