Manger est une activité si simple. On pique les aliments, on mâche, les saveurs inondent notre bouche, on avale, on recommence. On y réfléchit si peu qu’on peut le faire en même temps que mille et une autres choses: discuter, lire, écouter la télé, marcher, travailler.
Pourtant, quand on s’alimente, notre cerveau travaille aussi fort que nos muscles pour assurer leur synchronisation à partir du moment où l’on porte la nourriture à la bouche, qu’on la mâche et que l’on commence à l’avaler.
Fonction vitale, la mastication appartient à la catégorie des mouvements dits rythmiques, comme la respiration et la locomotion. Ce sont des mouvements répétitifs qui peuvent être intentionnellement déclenchés, accélérés, ralentis ou même arrêtés, mais qui, autrement, s’exécutent de façon automatique, sans demander d’attention.
Arlette Kolta, professeure au Département de stomatologie et au Département de neurosciences de l’Université de Montréal, s’intéresse au contrôle des mouvements rythmiques oraux de la mastication.
Avec son étudiant de doctorat Dominic Falardeau, elle a récemment publié une revue de la littérature pour décrire les mécanismes derrière la «machinerie masticatoire».
Un engrenage bien huilé
Comme tous les mouvements rythmiques sont organisés de façon similaire dans le cerveau, les membres du laboratoire d’Arlette Kolta cherchent à comprendre comment fonctionne précisément la mastication pour ultimement faire la lumière sur les autres mouvements.
Leurs recherches nous apprennent que le comportement alimentaire implique une organisation complexe de circuits neuronaux et de voies interreliées entre le cortex cérébral, le tronc cérébral et les muscles.
Quand la nourriture entre en contact avec la bouche, les récepteurs parodontaux sous les dents et les fuseaux neuromusculaires dans les muscles de la mâchoire captent les informations sensorielles et les transmettent au noyau sensoriel principal du nerf trijumeau et à un réseau d’interneurones prémoteurs dans le tronc cérébral. Ces régions du cerveau régulent l’activité des motoneurones qui à leur tour commandent les muscles d’ouverture et de fermeture de la mâchoire.
Bien qu’ils semblent répétitifs et analogues d’un cycle à l’autre, les mouvements masticatoires s’adaptent de manière très précise à la consistance et à la position de la nourriture dans la bouche afin d’optimiser le broyage et le déplacement du bol alimentaire. Les informations sensorielles relatives aux aliments sont alors essentielles pour orienter leur position dans la bouche et moduler la force appliquée par les muscles masticateurs, comme le masséter et le muscle temporal.
«Ces informations deviennent une rétroaction qui permet d’adapter le mouvement à chacun des cycles, puisqu’on ne mastique pas de la même façon selon le type de nourriture», indique Dominic Falardeau.
Ensuite, lorsque les aliments ont été suffisamment mastiqués et mêlés à la salive, la langue et plusieurs muscles situés dans le pharynx, le larynx et l’œsophage coordonnent leur activité pour la phase de déglutition. Pour avaler et, surtout, pour éviter l’étouffement si les aliments sont aspirés par la trachée, il faut une synchronisation de la contraction séquentielle des muscles, régie par un réseau neuronal situé dans le bulbe rachidien.
Mâcher, c’est bon pour le cerveau?
Avec leur revue de la littérature, Arlette Kolta et Dominic Falardeau nous font réaliser que le geste masticatoire est une activité cérébrale importante. «Plus nous en apprenons sur les circuits responsables de la coordination de la mastication et d’autres comportements orofaciaux, plus la complexité de ces circuits apparaît», note la professeure.
Elle ajoute que la mastication – comme tous les mouvements rythmiques – apporterait divers bienfaits, notamment une amélioration de la vigilance et de l’attention. D’abord parce que ces mouvements augmentent l’activité de certains neurotransmetteurs qui jouent un rôle dans l’éveil. Ensuite parce que le mouvement masticatoire imprime un rythme thêta à l’échelon de l’hippocampe, une activité électrique du cerveau associée à l’apprentissage et à la mémoire.
Aussi, la mastication augmente l’activité vasculaire du cerveau, donc l’oxygénation des cellules, particulièrement dans des régions d’importance pour la cognition. D’ailleurs, des études animales montrent clairement qu’une perte cognitive est associée à l’ingestion d’aliments liquides en comparaison d’aliments solides même lorsque leur teneur nutritionnelle est équivalente.
Mâcher de la gomme pourrait donc être une bonne idée?
«Des professeurs ont constaté que donner de la gomme à des élèves aux prises avec un trouble déficitaire de l’attention les aidait à se concentrer pendant un examen. Mais il ne s’agit ici que d’un avantage sur le plan neurologique. Oui, le fait de mâcher de la gomme favorise l’attention et l’éveil, mais il faut aussi considérer l’usure des articulations temporo-mandibulaires et des dents, le sucre ingéré, voire les risques de l’aspartame», nuance Arlette Kolta.
La valse de la mastication | UdeMNouvelles - udemnouvelles
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