Ce texte fait partie du cahier spécial Philanthropie
« Donner à des banques alimentaires, c’est bien. Mais peut-être aussi qu’il faut se demander pourquoi ça prend des banques alimentaires. » C’est en ces termes qu’Éric St-Pierre, directeur général de la Fondation familiale Trottier, explique pourquoi il était plus que nécessaire que le gouvernement fédéral autorise les organismes de bienfaisance enregistrés (OBE) à oeuvrer à faire évoluer les politiques publiques.
Jusqu’à 2018, la limite était sévère : un OBE ne pouvait pas consacrer plus de 10 % de ses ressources à une « activité politique », terme vague à souhait qui incluait aussi bien la politique partisane que la représentation auprès de ministères pour modifier le cadre légal ou réglementaire. Or, ce verrou a sauté depuis. À Ottawa, le gouvernement libéral a modifié la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) pour autoriser l’action relative à l’élaboration et à la mise en oeuvre de politiques publiques, ce qui inclut aussi bien le plaidoyer que la manifestation ou les ateliers d’éducation populaire.
« Typiquement, un grand nombre d’organismes écologistes ou sociaux ont une action foncièrement politique. La seule restriction, désormais, concerne l’activité partisane, qui demeure interdite, mais un organisme qui veut peser dans le débat public a désormais les coudées franches », dit David Grant-Poitras, coordonnateur du PhiLab Québec, volet québécois du Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie (PhiLab) et doctorant à l’UQAM.
« L’Association canadienne des producteurs pétroliers compte 52 employés inscrits comme lobbyistes. Les OBE doivent aussi pouvoir peser dans les débats démocratiques », dit Éric St-Pierre. La fondation qu’il dirige, forte d’un capital de 600 millions de dollars, est vouée à avoir des répercussions sur la société par la science, l’éducation, la santé et l’environnement. « Entre autres activités, nous avons aidé la Ville de Montréal à développer sa politique climatique et nous soutenons deux organisations qui poussent pour une Loi sur la finance climatique. »
Outiller les fondations
Cette modification de la LIR découlait d’un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario en 2018 qui avait invalidé l’article de la loi concernant les « activités politiques » parce qu’il attaquait la liberté d’expression, rappelle David Grant-Poitras. La juge ontarienne avait alors donné raison à l’organisme Canada sans pauvreté, qui accusait le gouvernement de Stephen Harper d’utiliser la LIR à des fins de contrôle politique contre les organismes écologistes ou à vocation sociale.
« Plusieurs organismes avaient perdu leur statut de charité, et une douzaine d’autres, comme Équiterre, la Fondation Suzuki, Écojustice, avaient subi plusieurs années de vérifications serrées qui ont coûté cher en temps et en honoraires d’avocats et de comptables, raconte Éric St-Pierre. Et Harper a gagné dans ce sens qu’il a effectivement nui au mouvement écologiste. »
Selon une étude du PhiLab Québec, les modifications de 2018 n’ont pas provoqué la grande vague de militantisme philanthropique tant espérée des uns et tant redoutée des autres. « Seulement une dizaine de fondations canadiennes ont une activité réellement politique, mais ça percole », explique David Grant-Poitras.
Une demi-douzaine d’organismes comme le PhiLab, Fondations philanthropiques Canada, ou le Collectif de fondations québécoises contre les inégalités coopèrent et donnent des formations pour outiller leurs membres. « Les fondations commencent à comprendre comment amplifier leur message, dit David Grant-Poitras. Ils se développent des stratégies de plaidoyer. »
Les assouplissements de 2022
Ces organismes ont un gros travail de sensibilisation devant eux, car le gouvernement fédéral a introduit en 2022 de nouveaux changements qui visent à encourager davantage l’action des fondations en matière de politiques publiques.
Ainsi, les fondations sont désormais autorisées à distribuer des fonds à des « donataires non reconnus », autrement dit à des OBNL qui ne sont pas des OBE ou des hôpitaux. « Cette ancienne limite privait de ressources les groupes d’aide aux populations autochtones ou aux minorités visibles, qui avaient beaucoup de mal à établir leur statut d’OBE », explique M. Grant-Poitras.
L’autre grand changement concerne la hausse du « contingent de versement », aussi appelé « quota de versement », qui est passé de 3,5 à 5 % du capital. En d’autres termes, toute fondation dotée d’actifs de plus de 1 million de dollars doit désormais dépenser minimalement 5 % de son capital chaque année, au lieu de 3,5 %.
« Le statut charitable existe parce que l’argent soustrait au fisc doit revenir à la société », explique David Grant-Poitras. Mais dans quelle proportion, sachant que cet argent placé sur les marchés financiers produit des rendements parfois importants ? « C’est un gros débat philosophique et éthique. Certains disent qu’un plancher à 5 %, c’est trop, d’autres disent que ce n’est pas assez. »
« Nous, on pense que ce n’est pas le moment de lésiner », juge Éric St-Pierre. « Les fondations canadiennes gèrent 100 milliards d’actifs environ, dit-il. Si on les oblige à verser 5 % au lieu de 3,5 %, c’est 1,5 milliard de dollars de plus vers Centraide, ou la Mission Old Brewery ou tout organisme de bienfaisance. »
Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.
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La bienfaisance veut peser dans le débat public - Le Devoir
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