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Tuesday, August 15, 2023

ChatGPT, une menace pour l'activité de milliers de prête-plumes kényans - Le Monde

A Nairobi, on les appelle les « rédacteurs académiques ». Dans les universités américaines et britanniques, on parle plus franchement de « sous-traitants » : des dizaines de milliers de petites mains, le plus souvent jeunes, qui écrivent jour et nuit des dissertations, mémoires et thèses pour des étudiants occidentaux contre rémunération. Depuis une dizaine d’années, le Kenya est devenu l’une des principales plates-formes de cette industrie de la triche. Une activité lucrative mais désormais menacée.

Le lancement, le 30 novembre 2022, de ChatGPT a été un coup dur pour les prête-plumes. Dernier fleuron de l’intelligence artificielle, le robot conversationnel de la start-up américaine OpenAI a prouvé qu’il pouvait réussir les examens d’entrée de grandes facultés américaines. D’après une étude de la plate-forme « Study » réalisée en janvier 2023, 89 % des étudiants américains utilisent désormais ChatGPT pour les assister dans leurs devoirs, et que 53 % d’entre eux l’avaient déjà utilisé pour écrire une dissertation. La méthode est à la mode : elle est intuitive, gratuite et les logiciels de détection de textes générés par l’intelligence artificielle peinent à émerger.

« L’intelligence artificielle nous fait vraiment mal », témoigne Elijah, qui fait partie d’une « ferme » d’écriture académique à Nairobi, une entreprise informelle d’une vingtaine d’employés entièrement dédiés à la rédaction et nichée dans un immeuble du centre-ville de la capitale. Lui écrit sur la biologie, l’histoire ou l’ingénierie et empoche 600 euros par mois. Sa dernière copie, une dissertation de cinq pages, concernait l’histoire de la peine de mort aux Etats-Unis pour le compte d’un étudiant américain. « La vérité, c’est que ce que j’écris l’intelligence artificielle peut aussi l’écrire, et gratuitement », dit-il, résigné. Plus de 20 % de ses clients ont rompu leurs contrats et privilégient ChatGPT, et les prix du marché ont chuté.

Du reste, le jeune homme fait face à un dilemme. S’il a choisi ce petit boulot de rédacteur académique, c’est pour financer ses études en sciences de l’éducation. Il rêve de devenir professeur des écoles. « C’est vrai que ça semble paradoxal. En ce moment, je fais ce job pour payer mes études mais, même à l’avenir j’envisage de continuer à faire des rédactions à distance en parallèle de ma profession », assure-t-il. Un enseignant kényan gagne en moyenne l’équivalent de 400 euros mensuels.

Faire de la fainéantise occidentale un business

D’après la Banque mondiale, le Kenya dispose du meilleur niveau d’éducation du continent africain. « Le taux de chômage y est élevé et un emploi à domicile est convoité, et en plus il y a un très bon niveau d’anglais », assure Thomas Lancaster, chercheur en intégrité académique à l’Imperial College de Londres. Inutile de chercher bien loin pour trouver ces prête-plumes : ils sont présents dans la plupart des universités et proposent même leurs services directement sur les réseaux sociaux comme Facebook ou LinkedIn.

Ruth Wanjeru s’est lancée pendant la pandémie de coronavirus, à seulement 17 ans, avant de passer le bac. « Au début, c’était principalement pour payer le loyer, mais maintenant c’est mon revenu principal », décrit l’étudiante qui suit aujourd’hui une licence de technologies de l’information. Lorsqu’elle n’est pas en amphi, elle se rue sur son ordinateur et rédige des dissertations. Parfois pendant la nuit.

« Je peux faire aussi bien des devoirs de maths, d’histoire, de droit et même de médecine, pour des individus qui sont parfois en troisième ou quatrième année d’études », raconte-t-elle. Payée 4 euros par page, elle empoche environ 400 dollars par mois, soit deux fois plus que le salaire moyen au Kenya. « Obtenir un job qui vous paye 500 dollars par mois, c’est compliqué ici, alors beaucoup se tournent vers l’écriture académique », conclut-elle.

Comme elle, ils sont des dizaines de milliers de jeunes à avoir fait de la fainéantise occidentale un business. « Des copains de fac gagnaient des fortunes hallucinantes, quelque chose comme 3 000 dollars par mois, et derrière ils ont pu acheter des terres, construire des maisons. Il y en a même un qui a créé un petit centre commercial avec cet argent », confie un ancien rédacteur vivant à Nairobi, mais qui souhaite rester anonyme à cause de l’évasion fiscale concomitante à son activité.

« L’industrie s’effondre »

Combien de temps l’industrie peut-elle encore tenir ? Ramadhan Omar, 23 ans, n’est pas optimiste. « Depuis l’arrivée des outils d’intelligence artificielle, j’ai perdu la moitié de mes clients et la moitié de mon salaire, raconte ce jeune infirmier, qui s’active sur son clavier le soir, après ses services à l’hôpital. L’industrie s’effondre, les rédacteurs kényans doivent penser à des alternatives. »

Kevin Oduor ne connaît que trop bien le sentiment d’être remplacé par l’intelligence artificielle. L’homme de 37 ans a travaillé pendant de longues années en libéral pour des entreprises de transcription. « Les nouveaux logiciels d’autotranscription m’ont volé mon travail, alors je me suis tourné vers l’écriture académique et, là, c’est de nouveau l’inconnue », déclare-t-il.

Il ne désespère pas. « Au fond, je pense que la machine ne peut pas complètement retranscrire la qualité qu’un humain peut produire dans une dissertation, se rassure-t-il. La bonne nouvelle c’est que même si les options sont plus nombreuses, les étudiants en Europe et aux Etats-Unis sont toujours aussi paresseux ! » L’un de ses récents travaux, réalisé pour un étudiant canadien, portait précisément sur la question : dans quelle mesure l’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les emplois dans nos sociétés contemporaines ? « J’ai répondu que ce serait avant tout un assistant », plaisante Kevin.

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