L’auteur est un ancien coureur de fond de l’équipe nationale canadienne et un physicien postdoctoral. Il a publié en 2019 le livre Endurance : L’esprit, le corps et les exceptionnelles limites extensibles de la performance humaine. Il collabore à la rédaction du Globe and Mail et du magazine Outside.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un des « éléments clés » au sujet de l’activité physique est qu’elle « améliore les capacités de réflexion, d’apprentissage et de jugement ». Le lien entre l’exercice physique et la santé du cerveau est un article de foi pour les chercheurs dans ce domaine et les décideurs politiques, sans parler des journalistes spécialisés en santé comme moi.
Deux études publiées le mois dernier ont donc eu l’effet d’un coup de fouet : tout d’abord, une importante revue critique qui semble dire que les preuves tangibles des effets bénéfiques de l’exercice physique sur le cerveau sont minces, voire inexistantes ; puis, quelques jours plus tard, une vaste recherche portant sur plus d’un quart de million de sujets et utilisant une nouvelle technique de pointe qui affirme que les bienfaits sont bel et bien réels. Alors que la poussière n’est pas encore retombée, voici où nous en sommes.
Depuis des années, des études d’observation mettent en évidence les avantages de l’exercice physique pour prévenir le déclin cognitif. Prenez un grand groupe de personnes, évaluez la quantité d’activités physiques qu’elles pratiquent et vérifiez ensuite quelles sont celles dont les performances cognitives ont chuté le plus rapidement. Une méta-analyse a révélé que même un niveau d’exercice de faible à modéré réduisait de 35 % le risque de troubles cognitifs ultérieurs ; une autre a conclu qu’un cas sur sept de maladie d’Alzheimer pouvait être évité en respectant les recommandations minimales d’exercice physique de 150 minutes par semaine.
Le problème, c’est que ces études d’observation ne peuvent pas prouver le lien de causalité. Peut-être que l’exercice physique aide le cerveau. Ou peut-être y a-t-il d’autres facteurs qui agissent à la fois sur le corps et l’esprit : il se pourrait notamment que les personnes qui mangent beaucoup de légumes aient tendance à faire beaucoup d’exercice et qu’elles aient un cerveau en bonne santé.
Une meilleure façon d’établir la causalité est une étude d’intervention : par exemple, demander à certaines personnes de faire beaucoup d’exercice et à d’autres de rester assises sur un canapé, puis évaluer quels cerveaux s’en sortent le mieux. Ces études étant très difficiles à mener, elles ne comptent généralement pas beaucoup de sujets et ne durent que quelques mois ou quelques années au maximum, ce qui limite les conclusions que l’on peut en tirer.
La nouvelle analyse critique, publiée dans Nature Human Behaviour par une équipe de chercheurs espagnols dirigée par Luis Ciria de l’Université de Grenade, s’est concentrée uniquement sur ces études d’intervention plus rigoureuses. On a regroupé les résultats de 109 tests individuels portant sur un total de 11 266 participants et on a ajusté les données pour tenir compte de facteurs tels que le biais de publication, qui pourrait prédisposer les chercheurs à ne pas prendre la peine de publier les résultats négatifs.
Les constats sont décevants. Bien que la majorité des tests individuels aient révélé un effet positif, les résultats regroupés et ajustés n’ont fourni que des preuves « négligeables » de bénéfices cognitifs.
« Il est important de souligner que notre étude n’écarte pas l’existence de ces effets, note Luis Ciria dans un courriel. Elle conclut seulement que les preuves actuelles ne sont pas assez solides pour tirer des conclusions. »Il croit néanmoins que des organisations telles que l’OMS devraient s’abstenir de citer la santé cérébrale comme raison de faire de l’exercice tant que la communauté scientifique ne disposera pas de meilleures preuves.
C’est sur cette toile de fond qu’un groupe de chercheurs du Canada, de la Suisse et des États-Unis, dont Matthieu Boisgontier de l’Université d’Ottawa, a publié quelques jours plus tard son propre article dans la revue Scientific Reports.
« Nous disons : “Pas si vite !” explique Boisgontier, car nous disposons de nouvelles preuves causales montrant les bénéfices cognitifs à vie d’une activité physique modérée et vigoureuse. »
L’article de Boisgontier utilise une technique appelée randomisation mendélienne pour combiner certains des points forts des études d’observation (grand nombre de participants, longues périodes) avec ceux des études d’intervention (randomisation des personnes qui font plus ou moins d’exercice).
La randomisation a lieu à la naissance. Certaines personnes viennent au monde avec des variantes génétiques particulières qui les prédisposent à faire plus d’exercice au cours de leur vie. Ces variantes génétiques n’ont pas d’effet connu sur les fonctions cognitives. Par conséquent, si les personnes porteuses de ces variantes obtiennent de meilleurs résultats aux tests cognitifs, cela permet de croire que leur niveau d’exercice plus élevé a changé la donne.
Et c’est bien ce que les résultats ont montré. Dans une base de données de 257 000 personnes ayant subi des tests génétiques et cognitifs dans le cadre d’une étude antérieure, les personnes porteuses de variantes génétiques associées à des niveaux d’exercice plus élevés ont obtenu de meilleurs résultats aux tests cognitifs. Il est intéressant de noter que les effets d’un exercice modéré étaient environ 50 % plus importants que ceux d’un exercice vigoureux, ce qui laisse supposer qu’il n’est pas nécessaire de se pousser jusqu’à l’épuisement pour tirer des bénéfices de l’activité physique.
Cette étude ne règle pas la question une fois pour toutes, reconnaît Matthieu Boisgontier. Mais elle constitue une étape majeure du renforcement des affirmations de l’OMS. Luis Ciria partage cet avis : « C’est le genre d’études dont nous avons besoin pour mesurer les effets réels de l’exercice physique sur les fonctions cognitives », a-t-il déclaré à propos des nouveaux résultats.
En attendant, le chercheur espagnol souligne que la controverse ne devrait pas dissuader quiconque de faire de l’exercice, dont les bénéfices physiques et sociaux sont solidement établis. « Enfin, ajoute-t-il, n’oublions pas le bonheur de faire quelque chose pour le plaisir. La valeur de l’exercice peut résider simplement dans son caractère agréable. »
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée par le Globe and Mail.
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